Écho des Caps n° 1218 du 11 juin 2010
Le Musée Héritage fait sont cinéma
Alors que le cinéma numérique de haute qualité a mis au rancart les bobines 35 mm et autres 16 mm, alors que l’on ne parle que de piratage de films sur Inter- net... le Musée Héritage a eu la riche idée de consacrer sa thématique 2010 à l’âge d’or du cinéma à Saint-Pierre !
Cinema Paradiso
Ambiance « Cinema Paradiso » au Musée Héritage cette année ! Si vous souhaitez vous mettre dans la peau d’un projectionniste tel l’excellent Philippe Noiret dans le film de Giuseppe Tornatore, si vous avez envie de ressentir toute la magie d’une cabine de projection, n’hésitez pas à pousser la porte du Musée Héritage ! Et alors—je m’adresse aux lecteurs qui ont bien connu « le cinéma de papa » (clin d’oeil au réalisateur Claude Berri) à Saint-Pierre, une foule de souvenirs bousculera votre mémoire. Nostalgie, nostalgie, quand tu nous tiens !
Des objets rares
Lanterne magique du Pharmacien Ernest Hutton, appareils Pathé Baby ayant appartenu à MM. Mathurin Lehors et Sylvain Ropers, appareils de projection utilisés par le Frère André, projecteur 16 mm Royal Ciné Gel de M. Emmanuel Cazier, projecteur DEBRIE 16 mm à lecture optique provenant du Lycée Émile Letournel, etc., Roland Châtel, le Conservateur du Musée, a fait le choix d’exposer au grand public plusieurs dizaines d’objets les plus divers liés à l’histoire du cinéma. Notre collectionneur passionné a décidé de rendre un bel hommage aux précurseurs du cinématographe dont on situe l’origine à Saint-Pierre entre 1905 et 1907.
Son exposition devrait s’enrichir, grâce à l’accord donné du Conseil Territorial, de deux pièces supplémentaires : un appareil de projection 35 mm du cinéma Georges Haran et un projecteur 16 mm du Centre Culturel et Sportif.
Les débuts de la télévision
Alors que la Télévision Numérique Terrestre va bientôt débarquer dans notre Archipel, une vraie révolution dans le paysage audiovisuel, le Musée Héritage consacre tout un pan de sa nouvelle exposition aux origines de la télévision dans l’Archipel ! Que de chemin parcouru depuis 1967 ! Tous ceux qui comme moi ont bien connu ce milieu professionnel seront émus de revoir les projecteurs CREMER du premier studio de télévision, une caméra ÉCLAIR, une Bell & Howell à mécanisme à ressort, un NAGRA pour enregistrer les sons… bref tout l’équipement nécessaire à la fabrication de reportages ou d’émissions en passant par le projecteur de diffusion double bandes ou à lecture optique et la table de montage ATLAS jusqu’à l’arrivée du premier magnétoscope BCN. Le Musée Héritage nous parle d’un temps… que les moins de 20 ans se devraient de découvrir !
Patrimoine
En conclusion, Roland Châtel a, cette année encore, décidé de faire partager toutes ses découvertes qui enrichissent un peu plus notre patrimoine culturel et historique. Le Musée ouvre officiellement le 15 juin prochain. Si les tarifs demeurent inchangés, une innovation à souligner : la possibilité d’adhérer à la carte Musée Héritage pour profiter d’un accès illimité aux collections permanentes et aux expositions temporaires, ou d’acheter un Pass Famille, pratique et économique.
Jean-Louis Mahé
Écho des Caps n° 1057 du 2 juin 2006
Les outils de la communication à Saint-Pierre et Miquelon
Ce mois de juin annonce l’ouverture, aujourd’hui même, du Musée Héritage.
C’est une quatrième saison qui s’amorce pour le Conservateur des lieux, Roland Châtel, dont l’objectif avoué depuis la création de son Musée est de renouveler ses collections et de les faire vivre. Une manière intelligente, d’une part, de fidéliser la clientèle locale — à chacune de ses visites, elle y découvre de nouveaux objets — tout en attirant de nouveaux publics, et d’autre part, de mettre en valeur les dons reçus d’habitants de Saint-Pierre et Miquelon.
Le monde des communications au siècle dernier
Alors qu’une récente étude met en valeur le poids d'Internet et le rôle prépondérant du numérique dans notre vie quotidienne, Roland Châtel a pris le pari, cette année, de consacrer une petite salle d’exposition aux objets liés au monde de la communication dans notre Archipel au siècle dernier.
Au Musée Héritage, point de télévision à écran plasma, de DVD, de Home Cinéma et autres MP3 ou I-POD, mais des anciens et imposants postes de radio, les premières télévisions en noir et blanc permettant de capter les émissions canadiennes, les premiers appareils de projection arrivés dans l’île, dont deux exemplaires Pathé Baby ayant appartenu respectivement à Mathurin Lehors et Sylvain Ropers, offerts au Musée, l’un par Mgr François Maurer, l’autre par Mme Jeannine Ropers.
À côté d’appareils photographiques de différentes époques — on est bien loin du numérique — trônent une lanterne à projection et des appareils stéréoscopiques du Pharmacien et photographe Ernest Hutton, et plusieurs objets de transmission — le code Morse notamment — utilisés localement par la Compagnie anglo-américaine du télégraphe, la Western Union.
Des projecteurs CREMER d’origine — ils équipaient le studio de la télévision locale — nous rappellent que la « petite lucarne » est entrée officiellement dans le salon des Saint-Pierrais le 20 avril 1967.
Et, comme l’écrit Daniel Guillot dans sa thèse « Les îles Saint-Pierre et Miquelon au XXe siècle » : « l’on peut dire que la vie des insulaires s’en est trouvée changée. Du jour au lendemain, les Saint-Pierrais se sont mis à vivre avec le monde extérieur, et non pas en marge ; ils ont pu contempler lieux et images au lieu de se contenter de les imaginer ».
Pour mémoire, rappelons que c’est M. Bernard Gouley, Délégué du Directeur Général de l’ORTF, l’Office de Radiodiffusion-Télévision Française, qui a inauguré le C.A.T* de Saint-Pierre en 1967 ; et que les premières années, il n’y avait pas de télévision le lundi, ce qui favorisait le regroupement des familles, qui pour disputer des parties de cartes conviviales, qui pour écouter « Les Maîtres du mystère » à la radio.
Radio et télévision : fenêtres sur le monde
« La radio existe à Saint-Pierre depuis avril 1932. On a peine à imaginer dans quel état d’isolement se trouvaient les habitants auparavant, sans téléphone, sans journaux, ne recevant le courrier que de temps en temps (le mieux une fois par mois ), ne communiquant avec l’extérieur que par télégramme. » Daniel Guillot a raison.La radio occupait une place centrale dans les familles de l’Archipel, comme en témoigne cet extrait du journal « Le Foyer Paroissial », daté du 15 avril au 15 mai 1932 :
« Mercredi soir, 13 avril, à 8 h 1/2, dans plus de deux cents familles saint-pierraises, on était rassemblé autour des haut-parleurs. Et on écoutait à l’Île aux Marins, à Miquelon, au Canada, à Terre-Neuve et ailleurs… Le poste de la radiodiffusion locale avait annoncé pour la soirée un alléchant programme musical, agrémenté d’une causerie par Mgr Heitz, Préfet apostolique. À l’heure dite, on put entendre un avertissement sonore, puis un morceau d’orchestre suivi d’un autre morceau de musique, avec un chant : La légende des flots bleus. La parole est alors donnée à Mgr Heitz. Causerie instructive pendant vingt minutes qui avait sa dose d’humour, sur le thème : Est-il vrai que les chrétiens ne valent pas mieux que les autres ?… Et portées par les ondes hertziennes, les paroles du conférencier se firent entendre dans tout le rayon d’action de la station, soit à plus de 400 milles nautiques, avec le salut final du pays chrétien d’Alsace : Loué soit Jésus-Christ !. Rappelons qu’il est convenu que tous les 15 jours, c’est-à-dire le 2e et le 4e mercredi de chaque mois, à 8 h 1/2 du soir, une causerie sera faite par l’un des membres du Clergé sur un sujet de religion ou de morale, ou encore sur la vie en pays de Mission. Entre-temps, les amateurs auront l’agrément de profiter des retransmissions journalières du poste de Saint-Pierre qui relaye chaque soir, de 17 h à 19 H, la radiocoloniale de Pontoise, ainsi que des émissions bihebdomadaires données par ce même poste ».
À Saint-Pierre et Miquelon, plus qu’ailleurs vu notre isolement géographique, la radio d’abord, et bien plus tard la télévision, sont très vite devenues des fenêtres sur le monde, des supports de réflexion, mais aussi des moyens de détente et de distraction.
Si ces « anciens » médias se font progressivement bousculer au XXIe siècle par Internet, force est de constater que pour des gens de ma génération la radio nous offrait des programmes de très grande qualité et nous permettait d’entendre du Brassens ou du Léo Ferré, et la télévision s’invitait dans notre salon avec « Cinq colonnes à la une » et des pièces de théâtre, de boulevard ou du répertoire classique… Les temps ont bien changé.
Au Musée Héritage, vous ressentirez cette nostalgie d’une époque où les médias pouvaient encore se tenir pour une forme de 8e art.
Jean-Louis Mahé
Photos Jean-Luc Drake