mathurin.com, le 12 juillet 2003
Saint-Pierre hérite d’un nouveau musée
Que de fois ai-je longé rue maître Georges Lefèvre ce qui fut il n’y a pas si longtemps le domicile d’Henri Morazé, en me disant que cette grande bâtisse respirait toute une histoire à nous dévoiler nos racines dans le secret de sa structure ! Et voilà que j’y suis entré pour découvrir, comme on ouvre soudain un grand livre aux trésors, quinze ans de passion, de travail acharné du nouveau propriétaire des lieux, monsieur Roland Chatel et l’émotion m’aura saisi dès les premiers instants.
Quinze années orientées vers un but, offrir à la population un musée « Héritage » et pour le visiteur, un superbe joyau de mémoire, au bout de ce premier chemin, Car il me faut marquer une pause, me confiera Roland, avant la mise en œuvre d’autres idées. Mais attendons la réaction du public à ce moment du parcours.
Le seuil est franchi. Me voilà dans ce qui fut un immense entrepôt, du temps des années folles de la prohibition. Succession de pièces où se marient le bois et la brique. Qu’il fait bon respirer cette odeur qui nous propulse soudain dans le passé. Immense travail de rénovation ; la bâtisse est un musée en elle-même. Et soudain, la mémoire de ce qui aura forgé l’identité de l’Archipel. Tout est bien agencé, savamment mis en valeur. Dix salles où il fait bon déambuler, respirer de joie en se disant : « Enfin ! » Comme s’il était temps que l’on puisse goûter ce plaisir d’un parcours de mémoire, parce qu’un artiste aura su préserver, rassembler, pour mieux mettre en valeur. Comment ne pas être saisi par l’atmosphère spartiate de la « chambre de sœur » ? Et tous ces objets qui témoignent de la vie des sœurs de Saint-Joseph de Cluny. La vie religieuse de l’Archipel est le thème-phare. Monseigneur Maurer aura laissé sa marque en encourageant Roland dans sa démarche. Et puis soudain, salle numéro 9, quelques marches, et te voilà plongé dans le passé maritime de l’île, dans le corps à corps de la mer et du pêcheur avec le doris des bancs que les Terre-Neuvas utilisaient à la fin du XIXe siècle et celui qu’utilisait Monsieur Joseph Poirier pour la pêche aux capelan à l’Anse au soldat. Salle numéro 10, en contrebas, une merveille, le doris de pêche à clains, offert par monsieur René Luberry. La force de notre identité maritime est là ! Je reviendrai souvent, pour m’imprégner aussi de celui qui aura marqué ces lieux, Henri Morazé, à la voix de stentor, notre « gentleman bootlegger ».
Et comme Jean-Pierre Detcheverry à Miquelon, Marc Derible à l’Île aux Marins, sur les pas d’Edmond Fontaine à Saint-Pierre, je me dis que, dans les cheminements privés, Roland Chatel aura été un impressionnant chef d’orchestre pour faire ainsi chanter les murs et les planchers, les solives et les objets, en nous offrant à son tour une merveilleuse symphonie.
Henri Lafitte